vendredi 21 mai 2010

Le retour du spectre de la catastrophe


Par David North
18 mai 2010

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Par certains aspects critiques, le monde de 2010 ressemble aux conditions qui existaient à la veille de la Première et de la Seconde guerre mondiale. La crise économique, les tensions géopolitiques et l’instabilité sociale sont plus grandes qu’à n’importe quel moment depuis 1945 – Rapport sur « Les perspectives et les tâches du Parti de l’Egalité socialiste, » janvier 2010.

[I]l est clair que depuis septembre 2008 nous sommes dans la situation la plus difficile depuis la Seconde guerre mondiale – peut-être même depuis la Première guerre mondiale. Nous avons vécu – et nous vivons – des moments vraiment dramatiques – Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel, 15 mai 2010.

Tard dans la soirée du vendredi 7 mai 2010, une scène extraordinaire s’est déroulée à Bruxelles lors d’une réunion des dirigeants des 16 pays membres de la zone euro. Une impasse était survenue entre la France et l’Allemagne au sujet de la faisabilité et des termes de l’aide financière à la Grèce. Avec le soutien du gouvernement Obama, le président français Nicolas Sarkozy insistait pour que l’Union européenne finance un plan de secours de 750 milliards d’euros pour la monnaie unique. La chancelière allemande Angela Merkel continuait de s'opposer à cette revendication.

Subitement, entre onze heures trente et minuit, la réunion est devenue explosive. Le président Sarkozy, selon des observateurs, a commencé à « crier et à hurler, » tapant du point sur la table en exigeant que l’Allemagne retire son opposition. Si Merkel refusait, a mis en garde Sarkozy, la France se retirerait de l’euro. Il a ajouté, pour que ce soit bien clair, qu'il en résulterait des dégâts durables pour les relations franco-allemandes. Confrontée à cette menace, qui avait le soutien du gouvernement Obama, Merkel a accepté la mise en place du plan de secours.

Cette confrontation avait lieu le soir même du 65ème anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe.

Immédiatement après cet accord, les marchés ont célébré la dernière « solution » en date à la crise économique mondiale grandissante. La communauté financière était encouragée par les promesses des gouvernement de Grèce, d’Espagne, de la Roumanie, du Portugal et de plusieurs autres pays européens d'appliquer les mesures d’austérité draconiennes inégalées exigées par la Banque centrale européenne (BCE). L’accord en Grande-Bretagne entre les Tories (conservateurs) et les libéraux-démocrates de former un gouvernement de coalition et d’attaquer les déficits budgétaires massifs du pays a contribué au rebond de marché. Toutefois, vers la fin de la semaine, l’euphorie se dissipait et les marchés enregistraient de nouveau des pertes substantielles au fur et à mesure qu'il apparaissait que l’accord forcé entre Sarkozy et Merkel n’avait résolu aucun des problèmes sous-jacents – et en fait, ne ferait qu’aggraver la situation.

D’abord, la politique d’austérité exigée par la Banque centrale européenne en échange du soutien financier forcera la réduction de la consommation dans les pays visés et les poussera dans la récession. Ceci, à son tour, entraînera une érosion des marchés majeurs des producteurs sis en Union européenne, notamment en Allemagne. Et ainsi, le résultat le plus probable des mesures d’austérité exigées par les financiers américains et européens est la continuation et l’aggravation de la récession qui a commencé en 2008.

Ensuite, la bataille sur le plan de secours de 750 milliards d’euros a ébranlé la confiance dans la viabilité du projet de monnaie unique, un peu plus d’une décennie après sa mise en place. Merkel a cédé à la pression franco-américaine le soir du 7 mai mais des rumeurs circulent sur les marchés financiers, selon un rapport du journal britannique The Guardian, « que Merkel est en train de faire imprimer des Deutschmarks en préparation d'une scission » au sein de la zone euro.

L’éclatement de l’euro ne signifie pas simplement la fin d’une monnaie. C'est la menace d'un effondrement dévastateur et potentiellement sanglant des relations politiques existant entre les Etats européens. Le journal allemand Süddeutsche Zeitung a avancé le scénario suivant dans son édition du 15 mai : « L’Union européenne s’effrondre au moment où son ciment politique le plus important, la monnaie unique, se désagrège. Vingt-sept Etats-nations se battent à nouveau pour des marchés. L’Allemagne, en tant que pays le plus grand et dotée d’une structure industrielle saine, se fait des ennemis, et risque d'être boycottée : le spectre de la ' puissance hégémonique' est restauré. »

C'est dans ce contexte que Trichet, le président de la BCE, a averti que l’actuelle situation politique et économique mondiale était la « plus difficile » depuis 1939-1945 et, peut-être même depuis 1914-1918.

L’on peut être sûr qu’une personne occupant un poste aussi importante dans la finance internationale que M. Trichet, prend soin de choisir ses mots. En s’entretenant avec un correspondant de l’un des journaux les plus lus et les plus influents d'Europe, Trichet place la crise actuelle à un niveau comparable à celui des deux plus importantes catastrophes mondiales du 20ème siècle.

M. Trichet n’exagère pas. Il connaît bien l’histoire européenne. Le déclenchement de la Première guerre mondiale en août 1914 fut le résultat de conflits politiques et économiques irrépressibles entre les principaux Etats capitalistes européens, conflits qui s’étaient accumulés au cours des quatre décennies antérieures de paix relative. En 1918 la fin de la guerre qui avait coûté la vie à 50 millions de personnes, ne résolut aucune des contradictions qui avaient provoqué la guerre. Au contraire, ces contradictions non résolues ont suppuré et sont devenues malignes menant à la calamité économique de la Grande dépression, à l’émergence de dictatures fascistes et, finalement en 1939, au déclenchement de la Seconde guerre mondiale. Durant les six années de barbarie qui s’ensuivirent, près de 80 millions d’êtres humains perdirent la vie.

Durant les décennies qui suivirent la guerre, la classe dirigeante européenne – sous la direction des Etats-Unis – a tenté d’établir des institutions économique et politiques devant rendre impossible le déclenchement d’une autre catastrophe. Tout particulièrement la « paix » entre l’Allemagne et la France – qui avaient été en guerre trois fois entre 1870 et 1945 – serait garantie en unissant les deux pays dans un réseau d’intégration complexe de relations économiques coopératives. La mise en place de l’Union européenne et avant tout, de la monnaie unique, fut le point culminant de cet effort d’après-guerre de défense de la stabilité européenne.

Paradoxalement, au moment où la monnaie unique était en fait lancée en 1999, les conditions objectives qui avaient étayé la croissance économique et la stabilité politique européenne s’érodaient rapidement. Un élément majeur de cette détérioration était l’intensification de la crise du capitalisme américain, et qui s’exprimait de la manière la plus dramatique dans la transformation des Etats-Unis en la plus grande nation débitrice du monde, et donc, dans le déclin continu de la valeur du dollar. Loin de promouvoir la stabilité européenne, l’accumulation des contradictions du capitalisme américain – qui ont finalement explosé en 2008 – a asséné un coup mortel à l’équilibre économique et politique déjà fragile de l’Europe.

M. Trichet reconnaît le caractère historique de la crise à laquelle l'Europe est confrontée. Mais ni lui, ni les dirigeants des gouvernements européens, ni d'ailleurs le gouvernement Obama aux Etats-Unis, n'ont la moindre idée de la manière de résoudre la crise qui se propage, sinon en se préparant à la guerre, tout d'abord contre la classe ouvrière puis inévitablement les uns contre les autres.

Suite à la dissolution de l'Union soviétique en 1991, conséquence de la trahison du socialisme par les régimes staliniens réactionnaires, les propagandistes du capitalisme mondial avaient proclamé le triomphe historique du marché. Les luttes révolutionnaires du 20e siècle contre le capitalisme avaient, selon eux, été des efforts futiles et malavisés, des aberrations du processus "normal"de l'histoire, et condamnées à l'échec. La conception matérialiste marxiste de l'histoire et son analyse des contradictions du mode de production capitaliste avait été réfutée.

A présent les réfutations du marxisme sont réfutées par le développement objectif de la crise du capitalisme mondial. Cette crise est à présent tellement avancée que les représentants les plus importants du système invoquent le spectre des catastrophes qui, au siècle dernier, ont coûté la vie à des dizaines de millions de personnes.

Les événements des deux dernières semaines sont un avertissement et un défi pour la classe ouvrière. La crise qui se développe englobe le monde entier et menace l'humanité d'un cataclysme aux dimensions inimaginables. Aucune solution ne peut être trouvée dans le cadre du capitalisme. La survie de l'humanité dépend du développement d'un mouvement révolutionnaire international de la classe ouvrière, politiquement conscient, pour le renversement du capitalisme et la mise en place du socialisme.

(article original paru le 17 mai 2010)

Voir aussi :

Les mesures européennes d’aide à la Grèce inaugurent une offensive contre la classe ouvrière européenne (16 mai 2010)

http://www.wsws.org/francais/News/2010/mai2010/spec-m18.shtml

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