dimanche 23 novembre 2008

Crise financière : la ligne de partage


 Crise financière : la ligne de partage
Crise financière : la ligne de partage
JOHSUA Isaac octobre 2008

Que de conversions déchirantes, en un temps si court ! A la vitesse de l'éclair, nous sommes passés de « plus libéral que moi, tu meurs » à l'adhésion jurée à la foi régulationniste. Désormais un consensus semble s'établir sur le rejet de la finance abhorrée. Si on parle d'une conférence internationale, si on évoque le FMI ou une réorientation de l'UE, c'est pour réguler la finance. Quant à Sarkozy et Fillon, ils n'ont pas de mots assez durs pour le monde de l'argent. Pourtant, non, les leçons à tirer de la grande crise du 21ème siècle ne peuvent s'en tenir à la dénonciation d'une finance malfaisante. Eliminer les paradis fiscaux, interdire les produits dérivés ou les fonds spéculatifs sont autant de mesures indispensables. Mais tant vaut le diagnostic, tant valent les remèdes. La crise actuelle est-elle au premier chef celle d'une finance déréglée ? Voire.
Pour ma part, je la vois surtout comme une manifestation de la foncière instabilité du capitalisme, une instabilité considérablement aggravée par la généralisation du salariat, mais temporairement contenue par le fordisme, jusqu'au démantèlement de ce dernier au début des années 1980. Des divers moments qui ont mené à l'effondrement actuel, la destruction du fordisme est certainement le plus important. N'est-il pas significatif de constater qu'une fois ses garde-fous jetés par-dessus bord, l'instabilité s'est rapidement accrue, couvrant une surface de plus en plus grande, de la crise mexicaine de 1994-95 à celle de l'Asie du sud-est en 1997, puis à celle, en 2001, de la « nouvelle économie », pour déboucher finalement sur la crise actuelle ? N'est-il pas tout aussi significatif de constater que le modèle qui nous a mené à l'impasse dans laquelle nous nous débattons (« de moins en moins d'épargne, de plus en plus de dettes ») a tenté, à sa façon, de répondre aux mêmes problèmes que ceux auxquels le fordisme s'attaquait ? A savoir soutenir la consommation (en réduisant l'épargne) et accroître la dépense en logements (en alourdissant l'endettement) .
Au rythme de la crise, les lignes bougent vite. La frontière n'est plus entre laudateurs et détracteurs du tout marché mais déjà entre ceux pour qui s'attaquer à la finance suffit et les autres, qui ne peuvent s'en contenter et réclament en sus un nouveau modèle de développement. En s'approfondissant, la crise elle-même montrera qu'on ne peut s'en tenir à l'aspect financier, qu'il faut tout autant remodeler l'économie réelle. De même que certains le font en matière de finance, nous pouvons, sautant par-dessus la crise actuelle, dessiner déjà à grands traits le modèle qui pourrait remplacer le fordisme défunt. Celui-ci était un modérateur de flexibilité à la baisse. En cas de défaillance de l'activité, il empêchait ou ralentissait la chute précipitée des différentes composantes qui contribuent à former la demande issue du salariat (emploi, salaire, revenu disponible, etc.) ou, en complément, celle de l'Etat.
Il faut donc commencer par stabiliser le marché du travail, en rétablissant la prépondérance des CDI, en confinant les diverses formes du travail précaire, en encadrant strictement les licenciements. Il faut un nouveau partage de la valeur ajoutée, il faut garantir le pouvoir d'achat des salariés, par la convocation d'une conférence annuelle sur les revenus, par une échelle mobile des salaires. Bien mieux : il faut renoncer à l'unicité du droit de propriété et ainsi ancrer les droits des salariés dans l'entreprise, c'est-à-dire admettre qu'outre ses propriétaires en titre l'entreprise appartient aussi à ceux qui y ont trimé de longues années durant. Pour compléter le tableau, ajoutons la reconstitution de services publics dignes de ce nom et (oui, n'ayons pas peur des mots) la mise en œuvre d'une planification incitative, articulée autour de grands projets, impulsant une véritable politique de recherche et d'innovation.
Comment maintenir ce modèle dans une économie ouverte à tous les vents ? Nous devons remettre en cause l'OMC, passer des accords commerciaux bi ou multilatéraux avec les pays émergents pour réguler la circulation des marchandises et laisser ouverte l'option d'un contrôle des flux de capitaux. C'est au niveau européen que ces mesures pourraient trouver leur véritable portée. Si cela s'avère impossible, il faudra s'en tenir au niveau national. Un tel modèle, plus modeste mais mieux maîtrisé que la flamboyance mondialiste, plus tourné vers la satisfaction de besoins sociaux (même s'ils ne sont pas marchands) pourrait aller de pair avec une croissance respectueuse de l'environnement, économe en ressources fournies par une planète mise à mal.
Les réformes susceptibles d'être acceptées aujourd'hui au niveau international sont bien loin de celles qui sont proposées par les instances officielles. Mais ces réformes sont, à leur tour, bien loin de celles qui s'imposeraient si l'on voulait repartir d'un bon pied. Autant d'écarts qui montrent l'ampleur des résistances à vaincre. Autant d'écarts qui devraient pousser à engager sans plus tarder le débat sur une vraie sortie de crise.
JOHSUA Isaac
* Tribune parue dans L'Humanité du 25 octobre 2008.
* Isaac Johsua est économiste, membre du Conseil scientifique d'Attac.

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